Histoire du thé – 3/4
La découverte du thé en Europe
La découverte du thé en Europe
Au XVIIe siècle, il fallait en moyenne un an et demi à un navire français pour atteindre la Chine et en revenir avec une cargaison. L'obligation de relâcher pour se procurer de l'eau et des vivres, réparer les navires et reposer les équipages obligea chaque compagnie à établir des ports d'escale. Sans compter les naufrages, les maladies ou les pirates qui décimèrent nombre d'équipages. Autant dire que tout voilier qui quittait le port partait pour une aventure, mais lorsqu'il rentrait les cales chargées de marchandises jusqu'à la gueule, c'était le jack-pot ! Avec l'apparition des clippers au XIXe siècle, plus légers et dotés d'une importante voilure, des routes et escales optimisées, les traversées devinrent bien plus courtes. En 1850, le clipper américain l'« Oriental » fut le premier à joindre Hong Kong - Londres en 97 jours… un record pour l'époque !
Le voyage du thé – Début XVIIIe (5 images)
Une des premières traces écrites du thé en Europe date de 1560 avec le témoignage du Père Jésuite Portugais Jasper de Cruz qui en avait ramené de Chine. Puis en 1606, un navire de la Vereenigde Oost Indiche Compagnie embarqua à Java quelques caisses de thé, troquées contre de la sauge. Le thé vert supportant mal les longs voyages en cale humide et peut-être aussi par goût ou similitude au café, le thé importé en Europe fut essentiellement du thé noir. Le thé fut longtemps un produit de grand luxe, c'est d'ailleurs ce qui en fit son succès auprès de l'aristocratie et son échec auprès du peuple… Le jésuite Alexandre de Rhodes qui avait passé 25 ans en Extrème-Orient (de 1619 à 1645) était devenu un accro au thé dont il ventait les bienfaits en ses termes : « Pour moy, quand j'avais la migraine, en prenant du thé, je me sentais si bien soulagé, qu'il me semblait qu'ôme tirait avec la main tous mon mal de teste ». En 1658 il nous donnait de précieuses informations sur les prix du thé : « Les Hollandais apportent de Chine le tay à Paris et le vendent à 30 Francs la livre, qu'ils ont acheté en ce pays là, 8 et 10 sols, et encore vois-je qu'il est fort viel et gaté ». Converti au cours actuel de l'euro (en prenant le prix de la main d'œuvre) cela fait un prix de vente de 760€ / kg pour un prix d'achat de 6,10€ / kg… soit du 12500% de bénefs ! Certes le transport était onéreux et long, mais les marges très confortables…
Le thé s'est plus au moins bien répandu dans les pays européens, en concurrence avec le café et le chocolat, et s'il eut ses heures de gloire, il termina souvent bon second comme en France ou en Hollande, où n'eut que peu d'impact comme en Italie ou en Espagne. En Russie où pourtant la Chine est bien plus proche et accessible par voie terrestre ce n'est qu'en 1638, qu'arrivérent à la cours du Tsar Michel Fedorovitch, 64 kg de thé rapportés par l'ambassadeur Vassili Starkov. Dès 1670 on trouvera du thé dans toutes les boutiques de Moscou, et il deviendra rapidement la boisson favorite de toutes les classes de la société russe. |
Le graphique de consommation de thé par habitant et par pays réserve quelques belles surprises… Mais il faut garder à l'esprit, que l'on utilise en poids, 2 à 3 fois moins de thé que de café pour faire la même quantité de breuvage (sans parler des infusions multiples pour les thés de qualité).
Consommation de thé et de café par pays
Mais s'il y a un pays où le thé fut roi, c'est bien en Angleterre et dans ses colonies, y compris l'Inde et l'Amérique… En 1653, les premières caisses furent débarquées et vendues aux enchères à Londres, où le thé devint rapidement « tendance » parmi l'aristocratie et les classes aisées. Mais curieusement, ce sont les Coffee Houses de Londres qui popularisèrent la consommation. Alors que le commerce du café s'était imposé depuis quelques années, Thomas Garway fut un des premiers établissements à offrir du thé à la vente, dès 1657. Trois ans plus tard, il afficha une pancarte qui vantait les vertus supposées du thé pour : « Thé 6 à 10£ la livre, pour rendre le corps actif et vigoureux, et préserver sa santé jusqu'à son vieil âge » (une fortune pour l'époque et qui correspondrait de nos jours à des thés de 108 à 180€ les 100gr). En 1700, plus de 500 Coffee Houses en vendent. En 1750, le thé est devenu la boisson favorite des classes laborieuses et le gouvernement tente bien sûr, de profiter au maximum de cette addiction. Vers le milieu du XVIIIe siècle, les taxes sur le thé ont atteint le taux astronomique de 119% ! Cette lourde imposition a pour effet de créer un nouveau business : la contrebande de thé ! Importé de Hollande ou de Scandinavie par mer, les pécheurs locaux trouveront une activité plus que lucrative. Car même le thé de contrebande restait cher et son commerce très rentable. Prohibition oblige, les contrebandiers ont commencé à le couper avec d'autres feuilles, saule, réglisse, prunellier, ou tout bonnement du thé usagé !
Catalogue de vente de 1785 (3 images)
Enfin, en 1784, le « Commutation Act », rabaissa la taxe sur thé de 119% à 12,5%, mettant ainsi fin à la contrebande, mais pas au thé frelaté qui resta, et à vrai dire, reste toujours un problème ! ne serait-ce que par les tonnes de mélanges parfumés ou de soda vendues comme « thé » de par le monde.
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