Histoire du thé – 2/4
Commerce vers l'Occident
Les compagnies des Indes Orientales
Il s'est écoulé plusieurs millénaires pour que le thé passe de simples feuilles d'arbres sauvages cueillies par les autochtones à un produit de luxe négocié à prix d'or, ou réservé au tribut de l'Empereur… Il s'écoulera encore quelques siècles avant que le thé devienne le nouvel « or noir » de l'Occident (avec le café, les épices, le bois, les cotons imprimés, la soie, la porcelaine…) et fasse la fortune et la puissance des compagnies coloniales. Ce négoce devint vite un enjeu économique majeur et l'objet d'une lutte acharnée entre Anglais et Hollandais. La Russie, la Turquie et l'Iran quant à eux, grands consommateurs de thé, continueront à s'approvisionner par voie terrestre avant de devenir producteur au début du XXe siècle.
Dès l'Antiquité, des échanges de marchandises précieuses (soie, porcelaine, épices…) existaient entre l'Europe et l'Asie via les 7000 km de pistes reliant la Chine au bassin méditerranéen qu'empruntaient les caravaniers de La Route de la soie.
Les Portugais furent les premiers Européens à chercher à contourner le monopole arabe en mettant au point une route maritime vers « les Indes orientales ». Encouragé par l'Infant du Portugal, Henri le Navigateur et aidé par des avancées technologiques (gouvernail d'étambot, boussole, voiles latines…) et cartographiques. Vasco de Gama atteignit la côte occidentale de l'Inde en 1498. Les Portugais devinrent alors les maîtres du commerce maritime et Lisbonne le plus grand port européen.
La Compagnie des Indes Orientales (8 images)
La East India Company anglaise fut créée en 1600, suivit par la Vereenigde Oost Indiche Compagnie hollandaise, puis, la Compagnie des Indes Orientales française. Mais ces compagnies n'étaient pas de simples entreprises commerciales, et devinrent rapidement des états dans l'État. La Compagnie des Indes Orientales créée en 1664 à l'initiative de Colbert, avait non seulement le monopole du commerce, mais aussi le droit de lever une armée, d'annexer des pays, et de battre monnaie.
La British East India Company
La British East India Company allait devenir la Company la plus puissante de son époque, avec des fonctions militaires et une administration régalienne. Fondée en 1600 par la reine Elizabeth Ier, ses 218 actionnaires obtinrent le monopole du commerce à l'est du Cap de Bonne-Espérance et bientôt une armée de 200 000 hommes ! En 1638, le Japon ferma ses ports à l'Occident pour plus de deux siècles. La Chine devint alors la seule source d'approvisionnement en thé. N'ayant pu, comme pour l'Inde, conquérir militairement la Chine alors trop puissante, les Britanniques, vers la fin du XVIIIe siècle, appliquèrent la stratégie du pourrissement intérieur. Car en effet, l'Angleterre subissait un énorme déficit commercial avec la Chine. Celle-ci étant peu encline à échanger son thé contre les productions occidentales qu'elle considérait comme grossières, l'Angleterre était forcée de payer cash et en monnaie d'argent. |
En asservissant les Chinois à l'opium, les Anglais imposèrent un système de vente triangulaire : l'opium produit à faible coût dans leurs colonies indiennes était échangé en Chine contre du thé revendu très cher en Europe. Comme le commerce de l'opium était illégal en Chine, les règlements des passeurs étaient effectués par la Company à Canton, et à partir de 1825, les bénéfices du trafic d'opium permirent de couvrir presque en totalité l'achat du thé. En 1838, bien que théoriquement les trafiquants encouraient la peine de mort, la corruption aidant, ce ne sont pas moins de 1 400 tonnes d'opium pur qui furent importées en Chine.
Empire britannique en 1886 (8 images)
Sur les 450 millions d'habitants que comptait la Chine en 1850, la consommation passa de moins de 0,5% à plus de 20% de la population masculine en quelques décennies. La substance en elle même était connue depuis des siècles. Élément traditionnel de la pharmacopée chinoise, utilisée pour calmer douleurs, fièvres, maux de gorge ou digestifs… Pour les plus aisés, fumer l’opium avec ses hôtes ou amis était un acte de convivialité traditionnel, qui passa de drogue récréative à une sorte d'opiomanie mondaine. Détail amusant, les Chinois considérant l'opium comme substance Yin, on servait toujours du thé avec, plutôt Yang, pour harmoniser ses effets. .
Finalement le pouvoir impérial finit par s'opposer violemment à ce poison, mais trop tard, la corruption et le laxisme avaient gagné toutes les couches de l'administration et de l'armée, dont les généraux « palpaient » grassement sur ce juteux trafic et n'avaient aucune envie de faire la guerre à leurs généreux donateurs. Après la première, puis la deuxième guerre de l'opium qu'elle perdit en 1860, la Chine dut autoriser son importation et son commerce. De plus elle dut baisser ses tarifs douaniers, ouvrir ses ports et son territoire à l'Occident, céder Hong Kong aux Britanniques et verser un lourd tribut de guerre (sans compter le pillage culturel des armées françaises et anglaises). Elle perdit aussi le territoire du Viet-Nam spolié par la France et la Corée en profita pour déclarer son indépendance.
La British East India Company était devenue un état dans l'état, mais sa puissance et sa cupidité démesurée précipitèrent aussi sa fin ou plutôt sa transformation… Privée de son monopole commercial en 1813 et du commerce du thé de Chine vingt ans plus tard, la Company perdra finalement ses fonctions administratives en 1858 à la suite de la révolte des Cipayes (soldats indiens de son armée). Ses possessions territoriales passèrent sous le contrôle de la Couronne en 1860 et le 1er janvier 1874, la British East India Company est dissoute par décret. Pour l'Empire du Milieu, cette ouverture forcée sur l'Occident dans des conditions humiliantes et économiquement catastrophiques précipita son déclin… mais c'était sans compter sans le courage et la pugnacité du peuple chinois, qui avec la prise de pouvoir par un nouvel Empereur en 1949 et la dynastie communiste qui s'en suivit, mit à peine 50 ans pour redresser la barre. La Chine entrera dans le XXIe siècle triomphante, en récupérant Hong Kong au passage et en ayant parfaitement assimilé les préceptes du capitalisme sauvage, tel qu'initiés par la British East India Company. Aujourd'hui, en plus d'être toujours le premier pays producteur de thé, elle fabrique la majeure partie des produits manufacturés que nous utilisons journalièrement, des habits que nous portons, des téléphones et ordinateurs… elle rachète massivement des terres arables dans le monde entier, des entreprises, châteaux et vignobles français, construit des « Chinatowns » dans toutes les grandes villes, contrôle des pans entiers de l'économie mondiale…
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